Sangliers, gazelles et crevettes

On se demande souvent quel est le meilleur athlète, du cycliste ou du coureur, de l’haltérophile ou du nageur… Je connais enfin la réponse.

Lorsque je ne suis pas en déplacement à l’étranger, je travaille à Nanterre, dans un vaste immeuble, un peu en retrait de la Défense.

Cet immeuble héberge de multiples sociétés, et une salle de sport, mise à disposition des salariés de ces sociétés.

Voici quelques mois, les gérants de cette salle de sport ont décidé d’organiser un Décathlon, qui aurait pour objet de désigner les meilleurs sportifs du site. 10 épreuves, à faire en 2 semaines, sur les installations de la salle.

En bon triathlète, je m’entraîne habituellement en plein air, sur les routes de Chevreuse, ou dans les bois environnant ma maison, et je nage dans une vraie piscine. Mais une méchante tendinite au  tendon d’Achille m’empêchant de courir, et n’ayant plus d’objectif  de ce fait avant Septembre, j’avais un peu de temps libre. Je me suis dit qu’il serait amusant de participer, qu’un peu de PPG ne pouvait pas faire de mal, et je me suis donc inscrit, un mois environ avant les épreuves – le temps de s’entraîner un peu, quand même!

J’ai donc assidument fréquenté la salle de gym pendant un mois, et j’ai pu jauger des forces en présence. En gros, 3 types de participants:

– les Sangliers: il s’agit des accros de la Salle de gym. Biceps saillants, pectoraux surdéveloppés, tablettes de chocolat… Des mecs qui passent plusieurs heures par jour à pousser de la fonte.

– les Gazelles: quelques rares amateurs de course à pied, tout fins, tout fluets, qui vont courir ensemble 3 fois par semaine entre midi et deux. Avant mes problèmes de tendinite, j’avais suivi quelques uns de leurs entraînements, au Parc A. Malraux ou sur la piste d’athlé Jean Guimier, et c’est du solide: travail en fractionné, au seuil, en VMA… D’un point de vue morphologique, je suis plutôt dans leur catégorie. Même si mes 73kg pour 1m80 ne me rangent pas spécialement parmi les fluets, je ne suis certainement pas comparable aux 90kg et plus de muscle des Sangliers!

– les Crevettes: la vaste majorité des participants, les intellos de l’immeuble, cadres pressés mais qui se font des bonnes petites bouffes, qui se donnent bonne conscience en passant de temps en temps une heure à la salle de gym après avoir fumé une clope, et croient qu’ils sont en forme parce qu’ils font du golf ou du tennis le dimanche.

Au delà des oppositions morphologiques, on sent une sourde lutte sociologique – lutte des classes pas morte – entre les Sangliers, essentiellement issus des nombreux services de sécurité de l’immeuble, gros bras rompus aux arts martiaux (vale tudo, ju jitsu, boxe thai…) et à la muscu, et les autres, les intellos, cols blancs salariés des sociétés de l’immeuble, qui passent l’essentiel de leur journée plantés devant leur PC ou en déplacement, suspendus à leur téléphone, à la poursuite éternelle du client. Je suis clairement dans la deuxième catégorie. Les Sangliers pensent enfin tenir leur revanche sur leur terrain favori, mais la licence de triathlon que j’ai dû montrer pour éviter d’avoir à produire un certificat médical suscite quelque méfiance, malgré mes 47 ans bien sonnés: un intrus pourrait-il perturber la domination des Sangliers, annoncée sans partage?

Qui gagnera? Sanglier, crevettes, ou gazelles? Body builder ou triathlète?

Tout se décidera dans les épreuves!

Pour corser le tout, la course se fait en équipe, un homme et une femme, sachant qu’il y aura des classements par équipe et individuels. 92 participants en tout, 46 hommes et 46 femmes.

 

1ère épreuve: le vélo. Faire la plus grande distance possible en 3 minutes, sur un vélo de gym modèle Stairmaster.

En m’entraînant à la salle, j’ai pu comprendre le fonctionnement du Stairmaster. Avec une molette, on fixe un niveau, entre 1 et 20, qui correspond à une puissance donnée (en Watt) – et donc à une vitesse donnée. Ce qui signifie qu’à un niveau donné, plus on pédale vite, moins il faut appuyer fort, pour rester constant en Watts – c’est comme si on changeait de braquet à puissance et vitesse égale sur un vélo. Si on ralentit la fréquence de pédalage, la résistance augmente, mais jusqu’à un certain point seulement: en dessous de 70 tours/minutes, elle finit par rester fixe, et donc la puissance produite et la vitesse décroissent.

Pour faire le score max, c’est donc facile: fixer la résistance au max (niveau 20, soit 375 Watts), et pédaler pendant 3 minutes à plus de 70 tr/min. Ma PMA étant de l’ordre de 375 W, a priori pas de problème.

Je me cale donc à niveau 20 (soit 375 Watt) et pédale à 100 tr/min pendant 3 minutes, ce qui me donne une distance de 2,76 km, impossible à battre sur ce vélo – même pas mal à la fin!

Du coup meilleur score – et de loin! Même si la durée typique de mes sorties en vélo est plus proche de 3h que de 3 minutes, tous ces dimanche matin en Chevreuse ont payé! Mort de rire de voir les sangliers essayer de faire mieux. Ils ont vu qu’il fallait caler la résistance au max, mais ils n’ont pas compris que la cadence optimale à 375 W était plus dans les 100tr/min que dans les 70! Ils tiennent 1’30 ou 2′, en danseuse souvent, mais ensuite le coeur lâche, et la dernière minute est souvent pathétique!

Bilan: 1er sur 46 – ça démarre bien! Mais bon, je sais que j’ai mangé mon pain blanc…

 

2ème épreuve: les abdos. Couché au sol, pieds calés, jambes pliées, mains sous la nuque, remonter le buste à la verticale, puis descendre en touchant les omoplates au sol. Faire le plus de répétitions possibles en 1’30 ».

Je me lance, part sur un bon rythme… mais au bout du 70ème, plus rien dans le bide, impossible de se relever. J’arrive péniblement à 73. Voilà ce que c’est de jamais travailler ses abdos – car c’est vrai qu’entre la CAP, la natation et le vélo, on ne les sollicite guère…

Et c’est là que la supériorité des Sangliers et des tablettes de chocolat est manifeste: 91 mouvements pour le record!

Bilan: 5ème – pas trop mal quand même, je limite les dégâts. J’ai bien sûr battu toutes les crevettes, mais aussi toutes les gazelles, et même quelques sangliers à tablettes de chocolat!

 

3ème épreuve: la course à pied. Courir sur le tapis de course la plus longue distance en 20 minutes.

A priori, la seule épreuve de fond du décathlon, je me dis que c’est l’occasion de larguer les sangliers, même si bien sûr quelques gazelles risquent de me battre.

Premier à prendre le départ, une gazelle, habitué de la piste d’athlé de Nanterre. Départ à 17 km/h, ralentissant à 16,5 sur la fin de la course: total 5.6km en 20′. Je me dis que ça va être difficile de faire mieux. En principe je cours le 10 km en 38′, soit 15,8 km/h, ce qui devrait rendre les 5.6km atteignables, d’autant que 17km/h sur tapis doivent être équivalents à 16 sur sol, mais avec mes problèmes de tendinite et mon manque complet d’entrainement en CAP, ça va être très très chaud…

Vient maintenant le tour des sangliers.

Le premier passe. Complètement asphyxié et dans le rouge à la fin de l’exercice, les puls à 200 bpm, on manque de l’évacuer sur une civière.

Au tour du second. Il part à 20km/h avant de se faire balancer dans le décor par le tapis!

Il n’y aura pas de 3ème: l’organisation préfère éviter les morts et décide d’arrêter les frais. On annule la CAP et on la remplace par un quizz sportif – nettement moins dangereux d’un point de vue cardiaque et traumatologique! Mais pas bon pour moi… et encore moins pour les gazelles, un peu dégoutées, et qui viennent de perdre toute chance de faire quoique ce soit d’honorable dans ces épreuves.

 

3ème épreuve bis: le Quizz. Une série de 10 questions sur le sport.

Questions du genre qui a gagné 3 fois de suite Rolland Garros (Bjorn Borg)… et je cale sur la dernière: combien y a-t-il de joueurs dans une équipe de basket. Je mets 6 au lieu de 5. Bien fait pour ma gueule, ça m’apprendra à être méprisant pour les sports co!

Bilan: 8ème ex-æquo (7 ont trouvé les 10 bonnes réponses).

 

4ème épreuve la natation. Faire 75m (5 longueurs de bassin de 15m) le plus vite possible, départ dans l’eau.

Bon, je me dis que ça devrait aussi être bon pour moi!

Je pars à l’arrache, façon départ de triathlon, avec fight à la bouée, bras tendus, haut sur l’eau, mais je foire un peu mes virages, et il y en a beaucoup à faire dans un bassin de 15m – et faut dire aussi que ce n’est pas ce que l’on bosse le plus en tri! Temps: 49″.

Je regarde ensuite les Sangliers. Du grand n’importe quoi, avec l’eau qui gicle à 10m de haut mais les mecs qui n’avancent pas! Rien de mieux que 55″, avec une pointe à 1’40 » en brasse!

Et puis soudain, parmi les Crevettes, un Nageur, un vrai. Une nage impeccable, la coulée longue et fluide sous l’eau. Le corps en ligne, les mouvements de bras rares et efficaces. Même pas fatigué après l’effort. Temps: 47″. Une leçon.

Bilan: 2ème. Encore bien, mais maintenant il va falloir aller jouer sur le territoire des gros bras!

 

5ème épreuve: les développés-couchés. Allonger sur un banc, soulever une barre pesant la moitié du poids de son corps. Les bras doivent être tendus lors de l’extension, et la barre doit toucher la poitrine lors de la flexion. Pas plus de 3 secondes entre chaque mouvement.

Je me suis un peu entraîné le mois d’avant, mais juste de quoi comprendre que ce n’est vraiment pas une épreuve pour moi. En faire le minimum pour battre les crevettes et les gazelles, mais les sangliers sont inatteignables sur leur terrain de jeu par excellence. Objectif atteint avec 39 développés-couchés. Devant les crevettes et les gazelles, mais loin derrière tous les sangliers, et notamment très loin derrière le vainqueur: 113 reps! Respect.

Bilan: 17ème – va falloir rattraper ça!

 

6ème épreuve: le saut à la corde. Saut à la corde pieds joints, sans rebond intermédiaire. Tenir le plus longtemps possible sans interruption. 3 essais max.

Heureusement, j’ai pu m’entraîner un peu le mois d’avant, car au début, je ne tenais jamais plus de 30″ avant de me prendre les pieds dans la corde. Et j’ai pu remarquer qu’en faisant tourner la corde assez lentement, on ne se fatiguait pas, même si le risque de se désynchroniser devenait plus élevé. Tout ceci me permet de tenir 6’40 » le jour de l’épreuve. Un peu frustré, car j’arrête non pas à cause de la fatigue, mais par inattention, en me prenant la corde dans les pieds par 3 fois. Mais c’est la règle…

Arrive un boxeur. La corde tourne à toute vitesse, les pieds décollent à peine du sol, on a l’impression que le corps est immobile: il tient comme ça 36 minutes !!!

Bilan: 3ème – un peu volé, mais content de moi sur ce coup!

 

7ème épreuve: les tractions. Suspendu à une barre bras tendus, paumes tournées vers le visage. Remonter le menton au dessus de la barre. Redescendre bras tendus. Faire le plus de rep possible.

Je me dis que là encore je vais prendre cher face aux gros bras de la salle. L’objectif est donc de limiter les dégâts, en battant les Crevettes et les Gazelles, mais sans espérer taper les Sangliers. Cependant au cours du mois d’avant, je me suis pas mal entraîné, faisant mes 3 séries de 10 rép de plus en plus confortablement. Et puis peut-être que la natation après-tout m’a un peu développé les biceps (ce qui est probablement le signe d’une technique natatoire défaillante, mais c’est une autre histoire). Toujours est-il que je me surprends moi-même en faisant 23 reps, ce qui me permet de battre pas mal de sangliers, handicapés par leur poids excessif. Tout en restant à distance respectable du record de 28 reps, atteint par les 2 meilleurs d’entre eux. Des mecs qui s’entrainaient en faisant leurs tractions avec 10kg attachés à la taille…

Bilan: encore 3ème – inespéré, ça commence à sentir bon!

 

8ème épreuve: les fléchettes. Trois essais de 3 fléchettes. La règle de comptage des points est celle des Darts, avec une cible bizarroïde découpée en 21 secteurs (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Fl%C3%A9chettes).

Bon, là c’est vraiment du grand n’importe quoi, le pur hasard roi du monde, vu la tête de la cible et les règles étranges de comptage de points. A 2mm près, on peut marquer 60 ou 1 point. Je marque 57 points. Le record est de 150 points – je ne l’ai pas vu, et je ne sais même pas comment c’est possible avec 3 flèches!

Bilan: 14ème.

 

9ème épreuve: souplesse. Debout jambe tendues sur un tabouret, descendre les mains devant soi le plus bas possible.

Heureusement, nous avons droit à un joker, en faisant effectuer par notre partenaire une des 10 épreuves. Raide comme un passe-lacet, c’est avec grand plaisir que je laisse donc ma très flexible partenaire gagner cette épreuve avec 26cm sous le niveau des pieds!

Bilan: 1er, mais j’y suis pour rien!

 

10ème épreuve: la chaise. Rester dos collé au mur, cuisses horizontales, bras ni sur les cuisses ni sur les hanches, le plus longtemps possible.

Là aussi, l’expérience paye. J’avais essayé de faire l’exercice quelques jours avant, et j’avais déjà compris que pour tenir longtemps, il ne fallait pas plier les jambes à angle droit, mais plutôt à 45° (ou plus exactement 135°), tout en gardant les cuisses horizontales.
Ensuite, juste avant de passer, j’en vois qui se font caler les pieds, qui ont tendance à glisser. Je demande si je peux me mettre un vélo devant pour caler les pieds, et c’est accepté. Au final, avec les pieds calés et un angle de 135°, la position est assez confortable. Passé une phase désagréable de tremblement incontrôlé des quadriceps, les muscles se tétanisent, et je ne sens plus rien. Au bout de 40 minutes, on décide d’arrêter. Nous serons ainsi 3 à tenir 40 minutes – durée max de l’épreuve.

Bilan: 1er ex-aequo.

 

Bilan total des courses
On compte 46 points pour une place de 1er, 45 points pour 2ème etc…

Résultat final:
1er au classement général Homme!!!
2ème au classement par équipe homme-femme
Une coupe kitsch de plus à rapporter à la maison. Ma femme ne va pas être contente!

Et c’est ainsi que fût enfin prouvé que le triathlète est le plus grand de tous les athlètes, tous sports confondus…

 

 

Le classement final

 

 

Trophée kitsch

3 réflexions sur « Sangliers, gazelles et crevettes »

  1. L'Papy

    *
    Excellent, je m’y serais cru, à la même place générant la surprise des autres concurrents.

    Je le fais souvent en soirée dansante ou lors des Hip Hop ou ex-Tecktonique, la forme physique du CAP de base que je suis permet de tenir, alors que le triathlète en devenir commence à retrouver des bras pour les mouvements de gym.

    Ce qui est plus marrant c’est à la fin, lors des accolades, si les clasheurs me demandent mon age… :-))))

    Pour la 77, je pousse mes camarades à la faire, mais j’ai peur…
    Lors de ma première vie de triathlète, j’avais préparé Embrun avec des cyclosportives dont 2 de plaine. Grace à cela j’étais arrivé le 15 aout avec 3500kms de vélo. L’an dernier j’ai eu peur pour mes vieux os et pour ma reprise du triathlon je suis arrivé à Embrun avec 2500kms (et la grèle)… Pour le LD de l’Alpe d’Huez, cette année, je suis arrivé sans aucune cyclosportive avec 1400kms ! :-((((((((((

    Mais ton CR de la 77 montre bien l’animalité de ce genre de course. Pour les CAP de base, en sortir épuisé est un gage d’endurance pour de longues semaines !

    L’Papy_dont_VMS_lui_permet_d’économiser_jusqu’à_1_million_d’euros_de_frais_de_fonctionnement_par_an_(audit_IBM_et_Bull)

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