Safaga Red Sea Marathon

Parti en février pour la Mer Rouge, à Safaga, Egypte. Une vieille envie enfin assouvie, réminiscence des récits d’Henry de Monfreid qui avaient émerveillé mon enfance… Ou plus prosaïquement, une semaine en famille, avec planche, kite-surf et snorkeling au programme.

Spot perdu sur les bords de la Mer Rouge. Quelques grands hôtels, colonisés par les Russes et quelques Allemands, les dunes, crades, jonchées de sacs en plastiques, battues par le vent, le désert… Pas trop de ressemblance avec mes souvenirs de boutres des lectures de Monfreid, mais une ambiance de bout du monde assez plaisante, finalement, pour qui sait apprécier la décadence des civilisations, ces lieux défigurés par les excès architecturaux du tourisme de masse, abandonnés des foules en cette basse saison, ces grands hôtels vides, récents mais déjà décatis, qu’humilient les pyramides voisines, vestiges abandonnées mais immuables des grandes civilisations millénaires disparues.

Je m’étais dit avant de partir que j’en profiterai pour nager, mais vu la température de l’eau (19-20° à cette époque!), et sans combi de natation, j’avais vite laissé tombé l’idée. Pas de regret, le snorkeling, la planche et le kite occupaient bien les journées. En bon triathlète, j’avais quand même pris une paire de running, mais pris par mes activités nautiques, elles étaient restées au fond de la valise.

Jusqu’à ce matin où que je vois à l’hôtel cette affiche: dans 3 jours aura lieu la grande course à pied annuelle de la région: le Safaga Red Sea Marathon!

Renseignement pris, il s’avère que le marathon fait 5 km. Une bonne longueur de marathon pour mes hanches arthritiques! Je décide de m’inscrire. A la réception de l’hôtel, on me dirige sur un employé qui veut aussi faire la course. Mohamed, étudiant en lettres germaniques, venu comme tant d’autres du Caire pour perfectionner son allemand auprès des touristes – le visa pour l’Europe, un rêve inaccessible. Nous nous débrouillons, en allemand, pour convenir de nous retrouver 1h avant la course.

Le jour J, rendez-vous avec Mohamed devant l’hôtel. Je suis un peu surpris de le voir arriver en costard, mais il m’explique qu’il n’a pas le droit de se mettre en short à l’hôtel, et on part ensemble en petite foulée vers le lieu du départ, à environ 1km. 20 degrés, grand soleil, vent à pas sortir un vélo (comme tous les jours…).

Arrivé sur place: le spectacle! Des centaines d’Egyptiens, bien rangés par groupe: les pompiers, les clubs de foot, les militaires, les femmes – en jean sous la djellaba! -, les écoles rangées par classe, chaque grand hôtel (sauf le nôtre!) qui sponsorise son équipe d’employés, la fanfare, la télé… Et tous les porteurs de pancartes et de banderoles à la gloire du Président Moubarak et de Safaga, perle de la Mer Rouge.

Mohamed enlève son costard: il est dessous en short et T-shirt, et il enfile la paire de running qu’il portait dans son petit sac à dos. On va voir un gars qui gueule en arabe plus fort que les autres – c’est l’organisateur. On lui dit qu’on veut s’inscrire, il nous file une feuille, avec un numéro. On doit écrire dessus nom et âge, puis pliée en 2 et glissé dans le short avec une moitié de la feuille qui dépasse: c’est le dossard et le bulletin d’inscription, qu’il faudra remettre à l’arrivée. Rien à payer – la course est gratuite.

Je pense alors au bazar que c’est devenu de faire une course en France, avec les certificats médicaux, les licences FFA obligatoires, les problèmes d’assurance, les frais d’inscription qui montent en flèche et toutes les prises de tête… Nostalgie de la simplicité d’antan: se retrouver entre amateurs sur une ligne de départ, et le premier arrivé a gagné! Quand organiser une course n’était pas plus difficile que de mettre quelques affiches, tendre une ligne de départ et une ligne d’arrivée, et prévoir une bouteille pour le vainqueur…

Après le discours interminable du politicien local – mais de quoi pouvait-il parler pendant une demi-heure? – un coup de feu, et c’est parti. Je pars pas trop vite, pour ne pas réveiller une vieille élongation aux ischios, mais je suis quand même surpris de voir que tout le monde me double! Ils sont tous à fond! C’est pas pour rien qu’on est en Afrique de l’Est, berceau des plus grands coureurs du monde!

Mais surprise, au bout de 500m, le mouvement s’inverse. Déjà il y en a qui marchent! Je commence à remonter. D’abord les femmes en djellaba, puis les gamins, certains en tongs, d’autres pieds nus, puis les employés de hôtels, puis les clubs de foot avec leurs chaussures en cuir…

Au milieu de la foule, je double une demi-douzaine d’occidentaux, aberrations incongrues, immédiatement identifiables à leur teint clair rougi par le soleil, leurs Oakley, leurs cardio-fréquencemètres, leurs Asics Gel, leurs casquettes et leurs textiles techniques fluo, synthétiques et respirants. Et je me dis avec horreur que je suis comme eux, élément parfaitement exogène au milieu des authentiques gardiens de la flamme originelle, celle qui fait courir l’Homme, depuis qu’il est Homme, de l’Australopithèque Afarensis, Lucy, la première à s’être relevée sur ses 2 jambes et à accomplir les premières foulées humaines, jusqu’au Maître des temps modernes, l’Ethiopien Hailé Gebresellassie, bouclant ainsi la boucle de l’histoire de l’humanité, ici même, avec eux, sur leur sol, dans cette corne de l’Afrique qui est le début et la fin de toute chose…

Heureusement, très vite, la testostérone et la dopamine, exacerbées par l’effort, font leur effet. Faisant foin de ces considérations vaseuses, mon ego reprend le dessus: je suis ce que je suis, un riche occidental pété de tune (enfin, tout est relatif, disons comparé au concurrent moyen du Safaga Red Sea marathon), je l’assume, j’en suis fier, j’accélère et je vais leur foutre une plume à ces bouffons d’australopithèques! Au début je passais des pelotons entiers, mais désormais les dépassements se raréfient. J’ai passé les femmes, les enfants et autres footballeurs, maintenant commencent les choses sérieuses, avec les coureurs, les vrais, reconnaissables à leurs shorts flottants, leurs chaussures de running, et leur foulée aérienne. Je cours un ou deux kilomètre avec l’un d’eux, que je finis par lâcher, et à la fin, dans la longue ligne droite finale qui traverse le désert vers le Nord, là où sont postées les caméras de la télévision – oui, la télévision est là! – je ne vois plus que trois petits points, loin, très loin devant. Il ne doit rester plus qu’à peu près 2 km – pas de douleur à l’élongation, je décide de tout donner. Un coup d’oeil au cardio, je me stabilise à 97% de FC max, c’est bon, je suis au taquet, la sensation enivrante de voler sur le bitume à travers le désert. Déjà se dressent les panneaux annonçant l’arrivée, au Caribbean World Resort – et pourtant l’aridité du lieu n’a rien de caraïbe! Dans les 200 derniers mètres, j’arriverai à passer le 3ème, mais les deux premiers étaient vraiment trop loin.

Au total, 18’45″. Un temps médiocre, mais mon premier podium en CAP! Après tout, le tout est de savoir trouver une course à son niveau… 😉 Le parcours n’était pas forcément étalonné au mètre près, mais ça me semble en phase avec mes 38′ au 10 km FFA réalisés 2 mois avant – surtout que mon élongation m’avait empêché de courir depuis.

Après l’arrivée des derniers, la cérémonie de remise des récompenses. Quand je vois le nombre et la taille des trophées, je me dis que je n’aurai pas assez de place dans mes bagages, mais en fait, lors de l’interminable séance, ce sont les sponsors, les hôtels de la région et les agences de voyages qui sont récompensés! Chacun a sa coupe, probablement proportionnelle au chèque reçu! Pas de souci pour les bagages: comme tous les 10 premiers, j’aurai droit à la médaille et à un superbe diplôme de finisher, en arabe et en anglais truffé de fautes. Pour les catégories et tout ça, ils ont fait simple: il y a 2 catégories, les moins de 34 ans et les plus de 34 ans (catégorie que je remporte!). Pas de catégorie féminine: une pauvre anglaise a beau se plaindre au milieu de la foule des officiels (« but I am the first woman… »), paroles perdues au milieu du brouhaha en arabe, rien à faire, personne ne l’écoute, elle n’aura même pas son diplôme de finisher. Faut dire que face à la concurrence locale en djellaba, et avec ses Nike, elle avait quand même un certain avantage au départ!

Je retrouve Mohamed, tout admiratif de ma 3ème place – je serai le héros de l’hôtel le lendemain! Il se débrouille pour héler une 504 bâchée, et avec une quinzaine d’autres coureurs agglutinés sur la plate-forme arrière nous rentrons vers Safaga. Le conducteur n’hésite pas à prendre à contre-sens la 2×2 voies pour accéder à la bretelle d’accès de notre hôtel, à l’égyptienne, mais nous arrivons malgré tout sains et saufs. Mohamed nous invite, ma famille et moi, à venir boire le thé le soir avec ses potes, et le soir, loin, très loin des hôtels de la côte, c’est un Safaga très différent que nous découvrirons…

Un conseil: quand vous partez loin en voyage, prenez vos running. Vous ne battrez pas votre record perso, mais l’aventure peut en valoir la peine!

 

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