Archives mensuelles : avril 2013

Lutter contre le vent (et la gravité du monde)

Le cycliste averti sait qu’on a intérêt à augmenter la puissance dans les montées et à se relâcher dans les descentes pour optimiser sa vitesse moyenne, mais ceci reste-t-il vrai lorsque l’on affronte un vent de face?

Quand on affronte un fort vent de face, vaut-il mieux faire le gros dos, continuer à exercer la même puissance, et attendre que ça passe, ou au contraire, appuyer plus fort, quitte à se relâcher un peu lorsque l’on aura le vent dans le dos?

La réponse est: oui, il faut appuyer plus fort, mais pas tant que ça… Démonstration.

D’abord, il convient de reformuler scientifiquement le problème.

Dans le cas général, la puissance à fournir en vélo peut se décomposer en 3 termes:

P = P_Air + P_Mécanique + P_Pente

avec

P_Air = puissance utilisée pour vaincre la résistance de l’air

P_Mécanique = puissance nécessaire pour vaincre les frottements mécaniques (organes de transmission du vélo et frottements des pneus sur la route)

P_Pente = puissance nécessaire pour gravir la pente

 

On a:

 

P_Air = 1/2 . ro . S . Cx . V . (V-Vent)^2

avec

ro = masse spécifique de l’air = 1,205 kg/m^3 (à 21°C et 1 bar de pression)
S = surface frontale (de l’ensemble cycliste + vélo)
Cx = coeff aérodynamique (de l’ensemble cycliste + vélo)
V = vitesse du cycliste (en m/s)
Vent = vitesse du vent (en m/s, positive si dans le sens du cycliste, négative sinon)

Le coeff S.CX dépend du profil du vélo, plus ou moins aérodynamique, mais surtout de la position de cycliste. Un cycliste amateur peut avoir un S.Cx de 0,43 m², un pro de 0,36 m².

Nous avons retenu à titre d’exemple un S.Cx de 0,38m².

 

P_Frottements = m.g.V.K

avec

m = masse du cycliste + vélo
g = constante gravitationnelle
K = paramètre dépendant du vélo et du revêtement de la route

C’est ici que s’exprime la différence entre les vélos. Pour un vélo bas de gamme, K est de l’ordre de 0,01. Pour un vélo haut de gamme, K est inférieur à 0,008. C’est cette valeur que nous avons retenu dans notre modélisation.

Si l’on veut aller dans les détails, la puissance due au frottement peut être décomposée en différentes composantes, dont la principale est la résistance au roulement. Cette dernière dépend essentiellement de la nature du revêtement et du pneu (ou boyau utilisé).

La résistance au roulement est égale à:

Crr.m.g.V

avec Crr = Coefficient de résistance au roulement. Crr varie entre 0,0038 et 0,0080.

 

P_Pente = m.g.V.p

avec

p = pente (en %)

Soit au total:

P = 1/2 . ro . S . Cx . V . (V-Vent)^2 + m.g.V.K + m.g.V.p

 

Dans ce qui suit, on va considérer un trajet aller-retour. L’aller se fera avec un vent de vitesse Vent, et le retour se fera avec un vent de vitesse -Vent.

A l’aller:

vitesse cycliste = V1
vitesse vent = Vent
puissance développée = P1
distance parcourue = d

Au retour:

vitesse cycliste = V2
vitesse vent = -Vent
puissance développée = P2
distance parcourue = d

 

Ce que l’on cherche à optimiser, c’est la vitesse moyenne sur le parcours, soit:

V = 2.V1.V2/(V1+V2) – voir http://silberblog.graphz.fr/horreur-mathematique-durete-du-velo

 

La contrainte que l’on a, c’est de le faire à « coût physiologique » constant.

Là, il y a là une petite subtilité.

On pourrait se dire que l’on va essayer d’optimiser sa course à coût énergétique constant. Dans ce cas, sa reviendrait à dire que l’on essaierait de garder une puissance moyenne constante, et que l’on essaierait ensuite de déterminer l’allocation optimale de puissance entre l’aller et le retour pour maximiser la vitesse moyenne.

Mais les choses ne sont pas si simples. Il est plus éprouvant pour l’organisme de faire 10′ @150W + 10’@250W, ou de faire 10x(1’@300W + 1’@100W), que de faire 20’@200W, même si tous ces exercices ont une durée et une puissance moyenne équivalentes.

Ceci a été traduit par Andrew Coggan par la notion de Normalized Power (NP), qui représente à peu près le coût physiologique d’une séance où la puissance varie. Sur la notion de NP, voir http://home.trainingpeaks.com/articles/cycling/normalized-power,-intensity-factor,-training-stress-score.aspx

Si vous faîtes une séance d’1H à 200W de NP, ça revient à peu près à avoir roulé pendant 1h à puissance constante de 200W – même si en réalité votre puissance a beaucoup varié au cours de la séance, et si votre puissance moyenne a été bien inférieure à 200W. Typiquement, sur une course vélo, avec de nombreuses accélérations et démarrages, on aura une puissance moyenne faible, mais une NP élevée, qui traduira bien mieux la sollicitation réelle de l’organisme que la puissance moyenne.

L’algorithme du calcul de la NP est donné par Andrew Coggan lui-même ici:

http://forum.slowtwitch.com/cgi-bin/gforum.cgi?post=3097774br

C’est assez compliqué (il faut lisser le calcul de la puissance en calculant une moyenne mobile sur 30s, puis faire la racine 4ème de la moyenne des puissances 4ème des moyennes ainsi obtenues…) mais ça se simplifie pas mal lorsque l’on suppose que l’on n’a que 2 sections sur lesquelles on roule à puissance constante.

Si on roule une durée t1 à puissance P1 et vitesse V1 et une durée t2 à P2 et V2, on a:

NP = ((t1.P1^4 + t2.P2^4)/(t1+t2))^(1/4)

soit vu que d=V1.t1 = V2.t2:

NP = ((V2.P1^4 + V1.P2^4)/(V1+V2))^(1/4)

 

Au total, le problème peut donc être ainsi reformulé:

« Quelle est l’allocation optimale de puissance entre l’aller et le retour qui maximise la vitesse moyenne tout en maintenant une NP constante? »

A priori, le problème n’est pas simple à résoudre, car la puissance et le NP résultent de calculs complexes – ils sont le résultat d’un calcul, et non les paramètres d’entrée, comme la vitesse! On peut visualiser ça en imaginant un plan dans lequel on fait varier V1 sur l’axe des X, et V2 sur l’axe des Y. A chaque point de coordonnées ( V1, V2), on fait correspondre sur l’axe Z la vitesse moyenne V = 2.V1.V2/(V1+V2). On obtient ainsi une surface S.

La surface S: vitesse moyenne en fonction de V1 et V2

La surface S: vitesse moyenne en fonction de V1 et V2

Trouver la répartition de vitesse (V1, V2) optimale revient à chercher sur cette surface le point le plus haut, tout en restant sur la ligne vérifiant la contrainte NP = constante (ligne de l’intersection de S avec la surface vérifiant NP = constante).

Heureusement, Excel vient nous aider à résoudre ça, grâce à la puissante fonction Solver. Solver utilise la méthode Generalized Reduced Gradient (GRG2) – nonlinear optimization code, qui a été développée par Leon Lasdon (University of Texas, Austin), et Alan Waren (Cleveland State University) – autrement dit, ça a l’air sérieux!

En fait il suffit de donner à Solver les cellules à faire varier (en l’occurrence V1 et V2), la cellule à maximiser (ici, la vitesse moyenne), et les contraintes à respecter (ici: NP = constante, par exemple 200W), et il déterminera les vitesses optimales V1 et V2 (et donc les puissances résultantes P1 et P2) pour maximiser la vitesse moyenne V.

J’ai rentré tout ça dans un tableur Excel, et il en ressort que oui, il faut appuyer plus fort quand on est face au vent – mais pas tant que ça.

Par exemple, un athlète ayant un NP de 200W et qui doit affronter un vent de face de 20 km/h a intérêt pour maximiser sa vitesse moyenne à produire 208,5W contre le vent (ce qui donne une vitesse de 20,9 km/h – planté face à un vent apparent de 40,9 km/h), et 178,5 W vent dans le dos (ce qui donne une vitesse de 42,4 km/h – vent apparent de 22,4 km/h).

Tant qu’à faire, j’ai aussi calculé ce que ça donnait pour une bosse, sans vent.

Un athlète ayant un NP de 200W et qui doit affronter une pente de 2,5% a intérêt pour maximiser sa vitesse moyenne à produire 215,9 W en montée (soit 22,4 km/h), et 156 W en descente  (soit 39,5 km/h).

Ce que montre aussi ce calcul, c’est qu’il faut forcer face au vent, mais moins qu’en montée, car c’est moins rentable. Dans cet exemple, on ralentit plus face au vent que dans la bosse, et pourtant on a intérêt à mettre moins de puissance face au vent que dans la bosse. Ne pas trop regarder son compteur de vitesse mais écouter ses sensations (ou son capteur de puissance pour ceux qui en ont un).

J’ai mis la feuille Excel avec les calculs ici.

Optimiser sa puissance face au vent et aux bosses

Voilà, maintenant qu’on sait ce qu’il faut faire, il n’y a plus qu’à rouler.

Attention: un bug dans tout ça n’est jamais à exclure, donc si qqu’un se sent de relire et contrôler, welcome!